Les sportifs ou les pratiquants des sports de combat ne connaissent pas cette pratique. Ils se concentrent sur les “mouvements uniques”, les techniques et leurs applications.
Dans les arts internes, l’entraînement des formes est souvent suivit par l’entraînement des mouvements uniques. Ce sont des gestes souvent extraits des formes, qui se travaillent isolément, pour rentrer dans le “non pensé”, et pour apprendre à sortir la force.
Chaque geste sera ensuite travaillé pour devenir plus puissant et plus détendu, le tout intégré ensuite à la forme liée.
Il y a les mouvements de base, qui se travaillent au début.
Les exercices et méthodes d’entraînement des arts internes, les ‘nei gong” et “wai gong”, vont faire de ces mouvements des gestes qui vont pouvoir acquérir puissance et décontraction.
On apprend ensuite les formes, danses structurées qui incorporent les mouvements de base.
Dans ces “routines”, les mouvements de base sont souvent utilisés différemment que dans les exercices de base, on leur donne une liberté et un mouvement supplémentaires. La liaison entre les gestes, la combinaison des mouvements et la continuité de la force au fil de la forme doit faire l’objet d’un travail spécifique.
La gestion de la distance et les concepts de combat vont émerger de la mise en “forme” des gestes de base.
Dans les arts internes, les techniques de base sont souvent plus axées sur le développement du corps et de son mouvement que sur les “frappes” de base. Les frappes sont souvent pratiquées plus tard, dans les exercices de sortie de force des “mouvements uniques”.
Je pense qu’il y a encore trois bonnes raisons de le faire :
– préparer le corps pour les mouvements du style,
– regrouper toutes les techniques qui forment le style,
– concentrer les “utilisations” du style dans une forme.
Dans la forme il sera possible de combiner la façon de bouger, la mécanique du mouvement, les concepts de combat et la gestion de la distance. Aucun de ces principes ne sera véritablement visible, ils peuvent demeurer transparents dans notre pratique si les méthodes d’entraînement ne sont pas connues.
Le problème est que, au fil des siècles, les mouvements ont évolué en tant que mouvements et non en tant que principes. Ce qui fait qu’un geste créé à l’origine pour mener une action précise, souvent ignorée du pratiquant, peut être modifié ensuite sans que le pratiquant n’en comprenne la raison. Il en résultera une forme plus “jolie”, plus adaptée au jeune maître, mais plus éloignée de la création originale. Petit à petit, le style perd de son “cœur” et nourrit son “enrobage”.
De plus, les techniques qui furent utilisables il y a longtemps, dans une situation précise, sont obsolètes aujourd’hui. Je pense tout particulièrement à des techniques qui viennent des combats en armures, ou destinées à combattre des cavaliers, qui semblent inutiles pour la rue d’aujourd’hui. Même si on peut aussi être gagné de malchance et être attaqué par un cavalier en armure !
Chaque mouvement des formes doit être entraîné pour exprimer de la puissance, de la vitesse tout en restant décontracté. Sans cet entraînement, les formes sont “vides”, et même si les gestes sont là, ils manquent de force et de précision, ils ne servent à rien, mais c’est joli.
Pour que l’art soit vivant, il doit évoluer.
Un maître fier d’avoir une forme qui n’a pas changée depuis la création de son style sous tend deux travers : le premier est que si son style est “utilisable”, il décrète que les façons de se battre n’ont pas évoluées, le deuxième est que les gens sont devenus idiots ces dernières décennies et donc incapables d’évoluer ou de penser.
Après avoir maîtrisé son art, je redis ça : après avoir maîtrisé son art, il est souhaitable de le faire évoluer si besoin, ou de le laisser comme tel.
Les nouvelles connaissances des gens en anatomie, en entraînement cardio-vasculaire, les techniques d’accroissement de la proprioception, la compréhension de l’augmentation de la force et les exercices d’entraînement de la vitesse… tout cela peut nous amener à une évolution de notre façon de pratiquer. Si on préfère ignorer toutes ces connaissances, et pratiquer comme il y a 300 ans, c’est un choix… qui fait bien souvent perdre son temps, un temps si précieux dans la pratique.
“Il faut trouver en chaque chose le juste milieu”, je pense que c’est la solution. Les formes traditionnelles doivent se nourrir de la connaissance d’aujourd’hui, mais il ne faut pas renoncer à la profondeur du savoir des anciens, à la magie de la transmission du savoir.
La spécificité de bon nombre d’arts internes réside dans l’apparente innocence des pratiques.
Pour développer profondément des changements dans le corps et l’esprit de l’adepte, il est important de ne pas lui donner des exercices trop “clairs”, sinon il va chercher à y mettre force et vitesse.
Si on peut s’entraîner sans “intention” sur une transformation, tout est plus facile. Reproduire des gestes qui expriment la force à travers un corps non préparé, ou développer de la puissance dans une enveloppe fragile, c’est mettre un canon lourd dans une barque : au premier coup de feu, l’embarcation coule.
Dans les arts internes, on privilégie la préparation de la structure à son utilisation. La forme va permettre de tester la structure, à travers une danse élégante et qui résume les théories du style. Après de nombreuses années de compréhension par la pratique, les exercices et méthodes d’entraînement vont nourrir la forme qui va “enseigner” au pratiquant.
Pour toutes ces raisons, les formes “sont” les arts anciens, “l’âme” des styles et donc elles ne “servent” à rien.